Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste définit le travail comme une activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforme eux-mêmes. Ainsi, le travail a davantage une signification se rapprochant de « production » et crée un système, dans lequel nous perdons souvent le sens.
Contexte de la perte de sens
Définition
La perte de sens a été nommée « brown-out » par François Baumann, médecin, spécialiste des pathologies liées à la souffrance au travail. Il la caractérise comme étant un épuisement de l’individu par l’absurdité de ce qu’il fait. En effet, le travail s’articule autour de trois dimensions, nécessaires pour que le travail trouve son sens :
- faire : apprendre et évoluer
- avoir : être rémunéré pour ses services
- être : se sentir valorisé
Origines
Dans les années 1980, les managers occidentaux rompent avec le taylorisme car ils le considèrent inefficace et s’inspirent du modèle japonais : le management par objectifs. Les équipes avaient la responsabilité de choisir les moyens pour les atteindre. Toutefois, un autre modèle : le toyotisme a concurrencé très rapidement le premier. Des procédures détaillées et un reporting permanent, permettant de veiller aux évolutions de la performance financière se sont progressivement installés, dans le but de satisfaire les actionnaires. Des changements d’organisations ont été réalisées à un rythme effréné. De fait, le travail en a gravement pâti : perte de marge de manœuvre, dégradation des conditions de travail.
Conséquences
Les conséquences négatives ont été nombreuses autant pour les salariés que pour les entreprises. Les impacts sur la santé des premiers se sont exprimés à travers des difficultés à se concentrer par exemple ou encore un ennui, annihilant toute initiative. En ce qui concerne les entreprises, on a pu noter une augmentation de l’absentéisme et/ou du turnover, c’est-à-dire la proportion entre les départs et les arrivées dans l’entreprise, mais aussi la baisse de la productivité.
Au niveau de l’entreprise
Les fondamentaux du sens au travail différents suivant les métiers
Le sens du travail revêt des définitions diverses, suivant le métier exercé. Ainsi, dans les services publics, la quête de sens concerne, avant tout, la problématique du travail bien fait. Il s’agit d’accomplir sa mission malgré des conditions de travail difficiles : les réductions d’effectifs, le manque de moyens et la numérisation de l’ensemble des services. Dans le domaine de la grande distribution, la perte de sens réside dans le travail répétitif mais aussi dans la simple exécution des ordres. Et ainsi de suite : chaque branche professionnelle comporte ses propres valeurs, ses propres intérêts autour desquels se regroupent ses employés.
Quelques idées sur l’organisation des entreprises pour lutter contre le « brown-out »
Dans son étude de 2021, la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère du Travail) met en évidence l’importance pour les salariés d’exprimer leur plein potentiel, représentant un aspect important dans le sens donné au travail. Les salariés doivent pouvoir développer leurs compétences et les employer pleinement, à travers l’accès à la formation, un changement de poste ou encore une progression dans la carrière. De fait, il s’agit pour les entreprises de créer une mobilité beaucoup plus fluide, permettant des évolutions diverses de poste en poste.
Quelques exemples
L’engagement solidaire est l’occasion pour les entreprises de fédérer ses salariés autour de valeurs communes. Par exemple, au sein de Groupama, a été organisé l’opération « don de jours » en faveur des jeunes en insertion. Elle donnait la possibilité aux salariés de faire don de un à cinq jours de congés à une association. De plus, la mise en place de cet évènement a nécessité la mobilisation d’une équipe de travail, ce qui a renforcé les liens entre collaborateurs. Un autre exemple transcrit aussi cette prise de conscience : la réunion de 11 entreprises, dont Orange, la RATP, AG2R, cumulant plus de un million de salariés au sein d’un collectif nommé « Sens au travail ». Son but est de réfléchir à une méthodologie afin de redonner du sens au travail.
Au niveau du salarié
S’investir dans son entreprise
Le sens au travail se construit aussi individuellement. En effet, même si on ne choisit pas ses collègues, entretenir de bonnes relations avec eux permet la création d’une ambiance agréable au sein de son entreprise. De plus, participer à des ateliers, des évènements organisés par l’entreprise favorise l’esprit d’équipe. Ensuite, il s’agit de comprendre qu’en faisant partie d’une entreprise, vous participez à atteindre les mêmes objectifs. De fait, en identifiant son rôle au sein de ce collectif, l’importance des tâches à réaliser devient plus évidente et accroit la motivation.
Mieux se connaître, ses besoins, ses désirs, ses limites
Afin d‘augmenter son taux de satisfaction au travail, il est nécessaire de déterminer les activités appréciées et celles dont on éprouve de l’ennui à les réaliser. De plus, savoir quelles sont les conditions de travail, qui nous sont adaptées, crée un cadre stimulant pour travailler : autonomie ou travail en équipe, être en déplacement ou travail de bureau… Pour répondre à ces questions, un travail introspectif s’avère essentiel pour trouver les tâches qui correspondent à sa personnalité mais aussi ses limites : les activités que l’on ne souhaite pas ou plus réaliser. Ce sont autant de paramètres à discuter avec son manager pour que ses préférences soient prises en compte.
Se faire accompagner
Les entreprises proposent de plus en plus des formations en internes à leurs salariés. Ce sont des occasions pour apprendre et développer de nouvelles compétences. Elles motivent les employés car ils se sentent évoluer au sein d’une organisation. En outre, désirer monter en compétences permet, à l’entreprise, de montrer sa motivation à travailler en son sein. Cela permet d’appuyer une évolution en interne. Toutefois, le salarié a la possibilité de réfléchir à son avenir professionnel, en dehors de l’entreprise, en réalisant un bilan de compétences : pour faire le point sur ses compétences et construire un projet professionnel.
Christophe Dejours, spécialiste de psychodynamique du travail, a écrit « Psychopathologie du travail » ou encore « Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale » (Seuil, 1985)
François Baumann est médecin, spécialiste des pathologies liées à la souffrance au travail. Il est le fondateur de la société de formation thérapeutique du médecin généraliste et auteur de « Brown-out, quand le travail n’a plus aucun sens » (Josette Lyon, 2018)
Pour aller plus loin, consultez l’étude de la DARES en 2021 sur l’influence de la perte de sens au travail. Dépendant du ministère du Travail, la DARES correspond à la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques.