Le monde du travail avait déjà amorcé une évolution avant la pandémie mais celle-ci en a accéléré le processus. Avoir un métier toute une vie n’est plus la norme aujourd’hui car nous évoluons, nous changeons et nos désirs professionnels, avec nous.
Etat des lieux
Notre regard change sur le travail
La carrière linéaire était la conséquence d’une vision collective du travail. Notre vision évolue vers une vision individuelle. Chaque individu pense et mène sa carrière selon ses ressources et la fait évoluer selon ses désirs, ses appétences, tout au long de sa vie professionnelle. Il s’agit de prendre davantage en compte la vie professionnelle d’un travailleur dans son évolution personnelle. A vingt ans, un collaborateur ne sera pas le même qu’à 30 ans, qu’à 40 ans et ainsi de suite. Ces changements se transposeront dans son parcours professionnel.
Le questionnement lié à une transition professionnelle
Le passage d’un travail à un autre entraîne un questionnement qui peut être différent suivant les différentes étapes de son parcours professionnel. En effet, on peut avoir besoin de stabilité et considérer le travail avant tout pour la rémunération qu’il engendre. A un autre moment de sa vie, la quête de sens et le besoin de se sentir utile peuvent être la motivation principale. Puis, la quête de soi peut devenir primordiale dans ce que le travail peut apporter d’épanouissement personnel. Enfin, nous pouvons avoir besoin de nous réinventer et désirer profondément un autre mode de fonctionnement que le salariat.
Hybridation du travail
La philosophe Gabrielle Halpern décrit un monde du travail s’engageant dans un processus d’hybridation. Si, à l’origine, il s’agissait de mixer travail présentiel et distanciel, Gabrielle Halpern pense l’hybridation de façon plus complexe : « mettant ensemble des choses, des métiers, des compétences, des matériaux, des secteurs qui, à priori n’ont pas grand-chose à voir mais qui créent quelque chose de nouveau une fois mis ensemble ». Elle prend comme exemple d’hybridation, le tiers-lieu comme les fermes urbaines ou les potagers urbains : conjuguant urbanisme et nature.
Disparition des métiers
Réorganisation du marché du travail
Le taylorisme, modèle d’organisation du travail industriel, laisse peu à peu la place, depuis les années 1970, à une autre organisation du travail où le travailleur dispose de plus d’autonomie et d’adaptabilité. Des facteurs tels que le numérique ont accéléré ce processus. De plus, d’autres composantes ont émergé et intensifient ce changement : le changement climatique par exemple ou encore l’intelligence artificielle. En outre, Gabrielle Halpern rappelle que le taylorisme a trouvé ses limites et montré ses dangers en provoquant un appauvrissement, un rétrécissement et une absurdité des métiers.
Evolution du métier vers la mission et la compétence
Les entreprises pensent, de plus en plus, le travail en missions successives et de moins en mois en métier. Cela signifie que ce qui est recherché est le potentiel d’un travailleur, c’est-à-dire sa technique, ses connaissances mais aussi ses savoirs-être, en un mot : ses compétences. Toutefois, il ne s’agit pas de s’arrêter là puisque l’enjeu est de les faire interagir entre elles. La finalité est la prise en compte de tous les potentiels, pour les placer sur un pied d’égalité face à une offre d’emploi, et créer des transversalités enrichissantes. Celles-ci pourront permettre à l’entreprise d’innover continuellement et ainsi, de s’adapter plus finement à l’évolution économique.
Les entreprises deviennent apprenantes
Les entreprises, aujourd’hui, délaissent le modèle du taylorisme pour devenir des entreprises apprenantes. Le concept d’entreprise apprenante a été théorisé dans les années 1990 par l’auteur américain Peter Senge, également maître de conférences au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il en donne la définition suivante : « L’organisation apprenante reflète une culture où les gens collaborent et réfléchissent ensemble pour que l’organisation s’améliore constamment afin de devenir une organisation saine et agile » (La cinquième discipline, 1990). A ce propos, le rapport de France Stratégie « Imaginer le futur du travail – Quatre types d’organisation du travail à l’horizon 2030 », publié en 2017, révèle que 37% des entreprises en Europe sont des organisations apprenantes.
Audace et souplesse
Apprendre à se connaître professionnellement
Cette nouvelle organisation du travail nécessite de la part du collaborateur de bien se connaître soi-même, professionnellement mais aussi personnellement, pour en synthétiser ses compétences. De plus, il s’agit aussi d’identifier ses besoins, ses aspirations et ses atouts, pour pouvoir évoluer d’un travail à un autre. Ce cheminement construit au fur et à mesure un parcours professionnel, une carrière, dans lequel le travailleur est censé se sentir à sa place, à chaque étape.
Evolution des travailleurs
Si auparavant, la crainte d’un collaborateur a été l’instabilité, aujourd’hui, celle-ci a évolué vers la perte de son employabilité. De fait, avoir de multiples expériences professionnelles devient une richesse, à condition de pouvoir articuler ses compétences entre elles, pour en faire émerger les compétences transposables, d’un poste à un autre. En outre, se former, tout au long de sa vie professionnelle, devient essentiel pour contribuer à son employabilité. Les entreprises prennent en compte cette aspiration en mettant en œuvre un plan de développement des compétences. Toutefois, le travailleur peut aussi se former seul, en utilisant son Compte Formation.
Quelques conseils pour réussir sa reconversion
S’il peut sembler compréhensible qu’un CV atypique ait des atouts, notamment l’ouverture d’esprit, la capacité à se remettre en cause et sortir de sa zone de confort, la démarche est encore nouvelle. Il peut être aussi difficile d’y voir clair sur les différentes idées et les étapes pour y arriver. Un accompagnement par un professionnel dans le cadre d’un bilan de compétences permettra d’identifier, clarifier et concrétiser le projet professionnel qui vous ressemble.
Gabrielle Halpern est philosophe. Ses travaux de recherche portent sur le concept de l’hybridation, sujet de son dernier essai : Tous Centaures ! Eloge de l’hybridation (Ed. Pommier, 2020).
Peter Senge est professeur de management au MIT, aux USA. Il a théorisé le principe de l’entreprise apprenante dans son ouvrage : La cinquième discipline, levier des organisations apprenantes, Ed. Eyrolles, 2015.