La culpabilité n’est pas facile à dépister dans le monde professionnel car elle se vit de manière clandestine. En effet, elle est une émotion difficile à assumer pour les personnes qui la vivent.
La culpabilité, délimitation et expression
Définition de la culpabilité
La culpabilité est un sentiment appris, qui se développe au regard des normes, morales et sociales, d’un groupe humain. C’est un état émotionnel déclenché par un stimulus particulier. En effet, il faut qu’une faute ait été commise, réelle ou ressentie : un tort commis envers un collègue, une erreur dans la tâche effectuée ou ne pas se sentir à la hauteur, ou encore penser qu’on ne travaille pas assez. Cela génère, chez la personne, un sentiment désagréable, qu’elle va chercher à apaiser soit en réparant la faute, soit en présentant ses excuses à celle qui a été lésée. Toutefois, le sentiment de culpabilité n’est pas toujours identifiable. Il peut être confondu avec l’appréhension, engendrée par la peur d’être rejeté du groupe ou la crainte des remontrances qu’on s’imagine, que l’autorité peut considérer comme une faute. De plus, la crainte de l’autorité peut provoquer un sentiment de malaise, identifiable à celui de la culpabilité. Dans ce contexte, la question de la responsabilité peut être posée, pour identifier la culpabilité, c’est-à-dire répondre de ses actes en vertu de la morale ou de la loi.
Ce qui déclenche la culpabilité
La culpabilité est provoquée quand des normes sociales, morales ou légales ont été transgressées. Elle se développe comme une sanction interne, un ressenti gênant ou douloureux, qui entraîne une volonté de réparation du tort commis. De fait, la culpabilité intervient comme une alarme, pour permettre une modification du comportement. Toutefois, elle relève du référentiel de chacun, c’est pourquoi elle est variable d’un individu à l’autre. La personnalité, l’histoire ou l’éducation influencent grandement le sentiment de culpabilité ainsi que son intensité. En outre, la culpabilité s’insinue pour compenser un sentiment d’impuissance, comme si un geste, une parole auraient pu modifier positivement la situation alors que ce n’est pas le cas. Il s’agit ici de s’imaginer dans la maitrise ou le contrôle, quitte à commettre une faute, plutôt que se voir impuissant, c’est-à-dire se percevoir comme faible, ce qui peut être pire. Dans les deux cas, les deux sentiments altèrent considérablement la perception de soi : l’estime, la confiance ou encore l’image qu’on a de soi.
Identifier la culpabilité
Bien que la culpabilité soit un sentiment personnel et subjectif, c’est aussi un sentiment social car il dépend des attentes sociales, familiales ou professionnelles. Toutefois, une généralité peut être établie : trois critères doivent être réunis pour qu’un sentiment de culpabilité soit fondé. En effet, il doit y avoir préjudice, l’acte doit être délibéré et le contexte reconnu comme sain. Tout d’abord, être conscient que tout acte, toute parole peut avoir un impact, est un préambule, pour se sentir responsable d’avoir commis un tort. Se questionner sur celui-ci est nécessaire pour établir un rapport sain avec la culpabilité : s’interroger sur les conséquences réelles de ses gestes, mais aussi prendre la mesure de la gravité de l’acte commis ou encore savoir qui en souffre. Cela permet de prendre du recul, d’avoir une vision plus lucide de la situation, afin d’établir les responsabilités de chacun. Ensuite, faire du tort ou commettre une faute se réalise très souvent sans que ce soit volontaire. Nos gestes, nos paroles peuvent avoir des suites malheureuses, sans que ce soit choisi. Si ressentir un malaise est normal, se sentir coupable peut être disproportionné car si on se reconnaît impliqué, c’est involontairement. Enfin, le contexte doit être reconnu sain. En effet, dans un contexte professionnel où les responsabilités ne sont pas précisément établies, un glissement peut se produire sur les différents collaborateurs jusqu’à l’abus, de même que la charge de travail.
La culpabilité au travail
Le rôle social de la culpabilité
Généralement, on ne ressent que l’aspect désagréable du sentiment de culpabilité. Toutefois, lorsqu’on prend du recul sur ce sentiment, on prend conscience du rôle central qu’il joue dans les conflits et les situations de crise entre les personnes. En effet, la culpabilité permet la résolution des problèmes car elle incite à l’aveu et à réparer les torts causés. Ainsi, elle contribue à contrôler et à inhiber les actions dommageables aux entreprises : par exemple, elle favorise la coopération et la réconciliation entre personnes. Eprouver la culpabilité permet aux salariés de se concentrer sur leurs responsabilités, face à l’échec, et de s’interroger sur les actions qui auraient pu le prévenir. La culpabilité favorise la remise en cause et la mise en place de processus évitant les erreurs passées. En outre, quand une faute a été commise, la culpabilité contribue à la reconnaissance des conséquences, l’ajustement du comportement et la réparation du préjudice. Finalement, face à l’adversité, elle permet de créer une cohésion dans le groupe de travail où est admise la maxime selon laquelle « l’erreur est humaine » et que tout un chacun peut, involontairement, fauter.
Le syndrome de l’imposteur
D’un point de vue sociologique, la culpabilité peut être un sentiment qui œuvre à la cohésion d’un groupe humain. Généralement, la culpabilité est ressentie négativement par les individus. Par exemple, elle est souvent liée à un phénomène nommé « le syndrome de l’imposteur ». c’est un sentiment d’incompétence et de doute, en sa personne et ses aptitudes, qui persiste, malgré les bons résultats que l’on peut obtenir lors de sa scolarité ou sa vie professionnelle. Ce syndrome résulte d’une distorsion entre la perception qu’on a des autres et celle qu’on a de soi. Pour compenser ce qu’il considéra comme des failles, l’individu compensera en travaillant plus dur que nécessaire, en se responsabilisant à l’extrême. Ainsi, il aura le sentiment de mériter le travail pour lequel il a été embauché et se déculpabilisera d’avoir trompé son entourage. Toutefois, ce sentiment qui appelle au surpassement en permanence, ne permet pas de déraciner cette croyance toxique. Bien au contraire, il peut installer un état d’anxiété et de culpabilité, pouvant conduire à une dépression.
Le burn-out
La culpabilité est un sentiment qui constitue le burn-out, autant dans ses causes que dans ses résultantes. En effet, les personnes expliquent souvent leur épuisement professionnel, en évoquant la culpabilité, parce qu’elles ne se considèrent pas assez compétentes, trop sensibles ou trop fatiguées pour être efficaces dans leur travail. De plus, face au médecin qui exprime la nécessité d’un arrêt de travail, la culpabilité réapparaît car on juge que c’est faire défaut à son employeur et à ses collègues. Ainsi, la culpabilité est un élément supplémentaire à gérer pour la personne mise au repos, alors même qu’elle est injustifiée. Sortir du burn-out est un cheminement où plusieurs étapes sont nécessaires. Avant tout, accepter la réalité de son état de santé permet de sortir du déni et pouvoir rompre avec le contexte qui a permis le burn-out. Ensuite, prendre du recul est important mais complexe. Être accompagné psychologiquement peut être essentiel, à cette étape, pour pouvoir comprendre les mécanismes du burn-out. Puis, s’interroger sur son rapport au travail contribue à la mise en place progressive d’un nouveau positionnement plus sain car respectant davantage ses valeurs.
Prévenir et réparer la culpabilité au travail
Chacun sa gestion de la culpabilité
La culpabilité, comme la honte, se vivent de manière clandestine, car elles sont difficiles à vivre et à assumer. De fait, les employés évoquent rarement le malaise engendré parce que la culpabilité se rapporte à un sentiment de faute. Bien souvent, c’est le sujet de la conscience professionnelle qui est abordé pour faire allusion à la culpabilité. De plus, son corollaire, la honte, fait partie aussi des sentiments vécus en entreprise. Celui-ci repose essentiellement sur un sentiment d’humiliation et d’infériorité. Il se joue davantage dans le regard de l’autre. Tous les deux abîment nettement la perception de soi. Pénélope Codello, enseignante-chercheuse au Département de management de HEC Montréal, observe un vécu genré. En effet, les hommes sont plus sensibles à la honte, un sentiment social, et les femmes à la culpabilité, émotion plus interne. Pénélope Codello montre que la réponse apportée est aussi genrée : les hommes ont tendance à quitter leur employeur, devant la difficulté voire l’impossibilité de gérer la honte. Les femmes, quant à elles, généralement restent avec l’objectif de s’améliorer.
Prévenir la culpabilité du côté de l’entreprise
Les entreprises ont une responsabilité collective dans l’émergence de la culpabilité et de la honte parce que l’environnement de travail a une réelle incidence sur l’apparition de ces sentiments. Toutefois, elles peuvent prévenir ou apaiser leur diffusion en mettant en place des procédés et une organisation efficace. Par exemple, les gestionnaires d’équipes de travail sont souvent perçus comme ne connaissant pas le travail de leurs collaborateurs. Dans ce contexte, les dispositifs d’évaluation sont créés de telle manière à ce qu’ils ne reflètent pas la réalité. Ainsi, mieux former les managers est déjà une première mesure à envisager. De plus, d’autres mesures favorisent aussi une ambiance de travail plus sereine : favoriser le droit à l’erreur et leur réparation comme des situations humaines qui peuvent arriver. Favoriser l’apprentissage par l’expérience est une mesure adaptée pour lutter contre le sentiment de culpabilité car il permet de développer la confiance en soi. En outre, accompagner les professionnels dans la connaissance d’eux-mêmes peut être aussi efficace, de même que l’apprentissage de la gestion des émotions. Enfin, il est essentiel d’encourager les employés à intérioriser leur réussite afin qu’ils prennent la responsabilité de leurs échecs, mais aussi de leur succès.
Accompagner et écouter sa culpabilité
Toute situation déstabilisante en entreprise ne provoque pas nécessairement de la souffrance auprès du personnel qui la vit. En effet, notre éducation, notre rapport au travail, à a sensibilité influencent grandement les sentiments vécus. Dès lors qu’un sentiment de malaise ou une douleur apparaissent, il est nécessaire de prendre le temps de l’accueillir et de l’écouter. En effet, la culpabilité est avant tout une émotion corporelle qui s’exprime à travers un nœud dans le vente, un poids ressenti dans l’estomac ou un serrement dans la gorge. Identifier cette zone que la culpabilité meurtrit et y apporter attention et soin permet une mise à distance et l’apaisement de la souffrance psychique. Ensuite, accepter et assumer sa culpabilité, en se l’appropriant, encourage à entendre ce qu’elle dit de nous : notre rapport aux autres et à nous même. Il s’agit ici de s’accepter soi, avec son histoire, son éducation, tout ce qui nous a amené à la ressentir. L’accompagner et l’écouter dans ce qu’elle dit nous permet de l’apaiser et de la rendre supportable. De plus, accueillir sa culpabilité concourt à s’interroger sur ses propres failles, en se demandant en quoi nous avons failli. Souvent, cela cache souvent la véritable faute : ne pas s’accorder l’attention nécessaire pour percevoir ses réussites.
Pénélope Codello, docteure en sciences de gestion, à HEC Montréal, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, est l’autrice de «Le Gestalt coaching au service du management », ed. EMS Management & société.